L'INTEGRITE SCIENTIFIQUE ET LE PLAGIAT

L'INTEGRITE SCIENTIFIQUE : UN SOUCI MAJEUR
par Yves LIVIAN - sept.2021

Des chercheurs qui s'accusent de biais méthodologiques, des universités qui font signer des chartes éthiques, des Ministres qui démissionnent à cause du plagiat commis dans leurs thèses… les questions d'intégrité scientifique revêtent aujourd’hui une importance inégalée.

Pourquoi aujourd’hui ?

Sans doute à cause du développement massif de la recherche, dans toutes les sciences, et de l'irruption de nouveaux pays (Chine, Inde…) dans un contexte de plus en plus international. Ceci provoque un énorme développement des publications et donc une rivalité accrue entre les chercheurs pour publier.
La plupart des pays ont adopté un système d'incitation à la publication ("publish or perish") qui pousse chaque chercheur à publier des articles de recherche, sauf à accepter un arrêt de sa carrière. La concurrence est donc très vive, dans un contexte technologique où chacun peut accéder facilement à des milliers de sources.
A cela s'ajoute la croissance internationale de l'enseignement supérieur comportant pour des millions d'étudiants la rédaction de nombreux devoirs, notes, mémoires. L'étudiant est donc amené à rechercher et exploiter de nombreuses sources disponibles sur Internet. Les tentations sont fortes de manipulations des données ou de copies.

De quoi s'agit-il ?

Ce qu'on appelle aujourd’hui "l'intégrité scientifique" recouvre principalement trois domaines : la fraude, le conflit d'intérêt et le plagiat.
- La fraude est le fait de créer des résultats fallacieux ou de les transformer dans un sens donné de manière malhonnête (expériences en laboratoires douteuses, résultats d'enquêtes "bidonnées", chiffres modifiés ou présentés de manière tendancieuse…).

Certaines revues en sciences de la nature ont ouvert une rubrique "Rétractations" pour retirer des résultats antérieurement publiés (et donc déjà examinés) mais qui ont fait l'objet de critiques factuelles ultérieures (en général à la suite d'alertes d'autres chercheurs vigilants)
- Le conflit d'intérêt est la suspicion que la recherche ait pu aboutir à un résultat favorable aux objectifs du financeur. Le cas-type est le domaine des recherches sur les effets sanitaires du tabac ou des OGM. La plupart des revues scientifiques obligent l'auteur à déclarer qui sont les financeurs de la recherche dont les résultats sont soumis à publication.
- Le plagiat, phénomène bien connu, est le fait de s'approprier tout ou partie d'un document (texte, tableau, photo…) dans son contenu ou sa forme, sans en citer l'auteur.
Il peut revêtir plusieurs formes : paraphrase, "copier-coller"… En France, il n'y a pas eu de ministres contraints à la démission, comme en Espagne, Allemagne et récemment en Hongrie. Mais le plagiat littéraire y est rarement condamné.

Comment lutter ?

Les institutions de recherche ont réagi, avec plus ou moins de rapidité selon les pays. Pour la France, le CNRS dispose d'un code d'intégrité scientifique. Les académies suisses viennent de faire paraître un code de 40 pages très complet. Un code de conduite européen existe depuis 2017. Les universités font signer un engagement sur l'honneur. Dans la loi française de programmation de la recherche (2021-2030), il est question de faire prêter serment aux chercheurs en matière d'intégrité.
Des logiciels sont aussi utilisés pour détecter le plagiat (cf. le texte de Robert dans le numéro précédent). Dans les faits, il est difficile de sanctionner un chercheur défaillant, à cause du caractère encore "tabou" de ces questions, de la solidarité professionnelle entre professeurs et de la lourdeur des procédures (voir le bulletin "Intégrité académique" tenu par M. Bergadaa, infra).
Mais des actions individuelles ont un large écho, comme la création récente de l'Institut de recherche et d'action sur la fraude et le plagiat académique (IRAFPA) qui recense des cas, donne des conseils et intervient quelquefois comme médiateur dans des conflits à ce sujet (https ://irafpa.org).
Pour les étudiants en mobilité internationale, les conseils à donner sont clairs :
- ne pas s'inscrire dans un établissement ou un pays qui ne dispose pas d'instances relatives à l'intégrité scientifique.
- prendre conscience des risques (graves) en cas de manquement (pouvant aller jusqu'à l'expulsion du programme).
- être d'une totale transparence concernant les sources et les données utilisées dans son travail (donner tous les détails méthodologiques, être rigoureux sur la bibliographie).
- saisir les occasions de présenter ses résultats dans le détail (réunions doctorales, réunions avec des collègues…) pour les confronter à des remarques critiques.
- rédiger son texte en ayant à l'esprit les questions que peut se poser le lecteur (qui dit cela ? d'où cela vient-il ?). (Cf. le Dialogue sur le plagiat ).
- … en cas de doute, les accompagnateurs CPU sont là pour aider !


LE PLAGIAT
Dialogue imaginé par Yves LIVIAN - sept.2021

L'accompagnateur : D'où ça sort, ce que vous écrivez là ?
L'étudiant : Je fais du copié-collé sur des textes qui m'intéressent, c'est pratique mais on m'a dit que c'était illégal…
L'accompagnateur : Si vous réutilisez ce texte dans votre mémoire, oui… car cela consiste à utiliser un texte écrit par un autre.
L'étudiant : Quand on emprunte une idée à un auteur, il faut donc toujours le citer ?
L'accompagnateur : Oui. On peut choisir l'un ou l'autre des types de référence (auteur, date ou note en bas de page) mais c'est obligatoire.
L'étudiant : Même si c'est une chose connue, ou banale ?
L'accompagnateur : Oui. - Même "Il faisait beau ce jour-là… ou bien "la France a un territoire hexagonal…".
L'accompagnateur :- Il faut distinguer les connaissances de base, communes et admises par tous, qui ne nécessitent pas une référence (mais en avez-vous vraiment besoin dans votre mémoire ?). S'il y a une expression spécifique, une notion particulière, une idée, une description précise il faut en rappeler l'auteur.
L'étudiant : Mais si c'est moi qui réécris le texte en changeant légèrement le texte, avec mes mots, ce n'est plus une citation ! Cela devient mon texte !
L'accompagnateur : Non, ce serait du plagiat. On va prendre un petit exemple littéraire. L'original : "La vitrine était entourée d'étoiles plus grandes que nature qui s'allumaient et s'éteignaient comme on cligne de l'œil. Au milieu, il y avait le cirque avec les clowns et les cosmonautes qui allaient à la lune et revenaient en faisant des signes aux passants". Sa copie : "La vitrine était entourée d'étoiles plus grosses que nature. Elles s'allument, elles s'éteignent en un clin d'œil. Au milieu du cirque, il y a les cosmonautes. Ils vont jusqu'au ciel, ils reviennent sur terre en faisant des saluts aux passants" . C'est un exemple réel, qui a fait l'objet d'une condamnation. Vous n'avez pas le droit de réécrire "à votre sauce" un texte existant. Vous devez citer l'original, ou bien vous le résumez en précisant sa source exacte.
L'étudiant : Donc je vais mettre l'auteur en bibliographie…
L'accompagnateur : Oui, mais cela ne suffit pas. Il faut mettre l'auteur à côté de ce que vous lui avez emprunté (exemple : Dupond, 1992).
L'étudiant : Comment je fais concrètement ?
L'accompagnateur : Utilisez les guillemets "…" en citant exactement le mot ou la phrase et l'auteur.
L'étudiant : C'est une citation ?
L'accompagnateur : On parle en général de citation pour un texte plus long, de quelques lignes. On le met entre guillemets et on indique l'auteur et la source avec la page.
L'étudiant : D'accord. Mais quand on résume la pensée d'un auteur…
L'accompagnateur : On peut très bien résumer la pensée de quelqu'un dont on a besoin, à condition de rappeler constamment l'auteur. On peut utiliser des formules telles que :
- Dupond (1992) indique que… précise que… propose que…
- Selon Dupond…
- D'après l'auteur…
- La thèse de Dupond est que…
Et cela tout au long des pages concernées. Il n'y aura donc pas de doute sur l'auteur et l'usage que vous en faites.
L'étudiant : Sur Internet, ils parlent de "taux de plagiat acceptable", quel est-il ?
L'accompagnateur : L'université ou le professeur qui a détecté le plagiat peut bien sûr donner suite ou non à ce qu'il a constaté, selon l'importance de la faute ! Mais il n'y a pas de plagiat "acceptable", il ne faut pas partir là-dessus.
L'étudiant : Ça vaut aussi pour les statistiques, ou les illustrations ?
L'accompagnateur : Oui bien sûr. Il faut toujours de toutes façons préciser les sources. Vous ne pouvez pas réutiliser des données sans indiquer d'où elles viennent !
L'étudiant : Que risque-t-on si l'on plagie ?
L'accompagnateur : Dans le domaine de l'édition, cela passe par le tribunal, qui étudie les deux textes et peut condamner (l'auteur et l'éditeur) à une peine de prison, une amende et une indication sur le livre publié.
Dans le domaine académique, cela dépend de l'université et de l'importance du plagiat. Cela peut aller de l'invalidation du texte avec la note zéro jusqu'à l'exclusion momentanée ou définitive de l'établissement.
L'étudiant :Bon, j'ai compris; sur le fond et sur la forme, il faut vraiment l'éviter !

N.B.
Sur les logiciels anti-plagiat, voir l'article de Robert Laurini dans l'infolettre n° 27 juin 2021.

Pour ceux qui sont intéressés par le sujet, voir M. Bergadaa "Le plagiat académique", Paris, L'Harmattan, 2015.


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