Le témoignage d'un demandeur d'asile

 

L’Effet Papillon ..

Vous êtes-vous demandé quelle a été votre meilleure réussite ?
Je sais que vous pensez que nous serons toujours d’accord pour dire que c’est « la liberté, liberté chérie »
Mais je ne suis pas d’accord. Pour certains, ce n’est pas comme çà. Alors je dirais que vous avez eu de la chance, et que nous ne l’avons pas eue.
Nous sommes au 21ème siècle et « ils » nous ont volé le droit, le droit à la vie, le droit de n’être pas tué…

Excusez-moi, je vais commencer depuis le début. Je me présente. Je m’appelle L. et je suis né en 2018 en France et j’ai 18 ans…

Excusez-moi une fois de plus… je vais recommencer par le vrai début…
Je me présente. Je m’appelle L. Je suis né en 2000 en Géorgie et je suis mort en 2018…

En Géorgie, L. était un étudiant ordinaire à l’école de mathématiques et de physique qui adorait rêver. Il aimait rêver et il faisait tout pour que ses rêves se réalisent, mais alors qu’il en était si proche, il est mort…

Mais la mort n’est pas toujours la fin ; des fois, c’est le début. Le 01/08/2018, mon rythme cardiaque s’accélère, mes paumes deviennent moites, mes genoux faiblissent, mes bras sont lourds. Je tends mon passeport et j’attends.
Il m’a regardé. Il est sur le point de parler… Mon cœur s’arrête, ma vue devient noire, mon corps devient chaud. Je connais cette sensation, mais je ne me souviens pas d’où ça vient. Le garde-frontière sourit et me dit : « Bienvenue en France », tandis que pour ma mère c’était «Félicitations, vous aurez un garçon ».

Je suis né… Je ne savais pas marcher, je ne savais pas manger, je ne savais pas me laver et je ne savais pas parler, mais étonnamment, je savais parler la langue de ma mère pour qu’elle puisse toujours me comprendre, même sans parler.

A un mois de ma nouvelle naissance, c’était un temps comme le premier jour à l’école maternelle. Ce jour-là, je n’allais pas là-bas avec des fleurs à la main, ni avec une chemise blanche, ni avec bonheur. Au contraire, j’avais peur. « Votre destination est devant vous » me dit Google Map. Mon rythme cardiaque s’accélère, mes paumes deviennent moites, mes genoux faiblissent, mes bras sont lourds, ma vue devient noire, mon corps devient chaud ; c’est la même sensation, mais je ne me souviens pas d’où je la connais.

Je regarde… il est indiqué « CPU- Coup de Pouce Université », mais qu’est-ce que ça ? J’en ai aucune idée. Je frappe à la porte au lieu de sonner. Une gentille femme avec un gentil sourire m'ouvre la porte. Je suis entré. Un homme ordinaire, gentil, qui travaille à quelque chose dans le plafond descend de son échelle. Il me propose un RDV pour le lendemain avec une professeure. Je me demande pourquoi il est si gentil avec moi ?

Pourquoi l’homme qui travaillait à réparer le plafond m’a-t-il donné un RDV? Comment un ouvrier pouvait-il en décider ? Plus tard, j’ai compris que c’était le directeur… En tout cas je suis parti. Je sentais que je n’avais plus peur.
Le lendemain, j’ai découvert que j’avais un rendez-vous avec une autre femme bienveillante qui m’a posé plusieurs questions sur moi-même et je lui ai répondu par des réponses un peu au hasard. Elle a souri, elle m’a accepté. En partant j’ai vu des gens qui me souriaient tous, mais à leurs yeux je pouvais voir qu’ils étaient eux aussi des nouveau-nés et ils disaient déjà leurs premiers mots.
Le jour suivant, et chaque jour je grandissais, chaque jour je progressais, avec des gens venus de partout autour du monde. Chaque jour nouveau était un mois de progrès pour nous tous. Nous avions tous une chose en commun… Nous avions tous perdu la liberté, la liberté de choisir la vie ; et nous nous sommes tous battus pour la récupérer.

Après quelques semaines nous n’étions plus des nouveau-nés, nous étions déjà des lycéens. Nous pouvions parler, nous pouvions nous exprimer, nous avions la liberté. Et comme c’est toujours mieux de voir une fois que d’entendre cent fois, nous avons visité des lieux autour de Lyon, des lieux historiques, des lieux culturels…
Notre formation est terminée, nous sommes bien formés comme des humains et c’est d’être humain qui est notre plus grande réussite. C’est nous les humains qui écrivons et changeons l’histoire.

En 1972 le météorologue Edward Lorenz a fait une conférence où il pose une question : «le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?» La réponse est « oui, il le peut… ». Donc je dirais que par un battement de vos ailes, vous nous avez formés ; maintenant c’est à nous. Alors je dirais que vous pouvez vous attendre à un vent qui va changer le monde.

Maintenant, que j’ai fini d’écrire, j’ai encore ce sentiment bien connu et plusieurs fois éprouvé, et je réalise enfin d’où il me vient.
Je me souviens : il vient du moment où j’ai ressenti de l’amour pour la première fois et je l’ai ressenti à chaque fois. Je ressens de l’amour ; cela signifie donc que j’aime votre pays et j’aime le CPU…

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