Message de Jean-Noël au moment de quitter le CPU.

Un coin du voile

 

En 15 ans, une fois n’est pas coutume : au moment de quitter le CPU, permettez-moi de soulever un coin du voile et d’esquisser quelques mots sur des valeurs spirituelles qui m’ont inspiré depuis tant d’années. A dire vrai, je sais par expérience que personne au CPU ne leur est étranger et mon bonheur a été de les partager plus ou moins avec chacun.

 

1. S’il me fallait définir le bonheur ? Le bonheur est toute rencontre réussie : égalité, réciprocité, sincérité ; non pas naïveté mais relation vraie et sans mensonge. Il y a toutes sortes de stratégies pour fausser la relation vraie, de sujet à sujet. Il y en a même deux en particulier qui transforment le sujet en objet et qui peuvent se superposer :

a. Faire de moi-même un objet d’admiration : Mon admirable générosité ! C’est très efficace !

b. Faire de l’autre un objet de soin. C’est plus subtil ! L’obsession de venir en aide à autrui, le souci d’efficacité sont parfois d’excellents paravents contre la relation vraie.

 

Jésus était un marcheur, toujours à la recherche de rencontres nouvelles, particulièrement avec les oubliés et les réprouvés. Il leur donnait la parole quand un démon leur interdisait de parler en leur propre nom. Il les amenait à formuler leur demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Une fois guéris, il ne les prenait pas à sa suite ; il les réintégrait dans leur circuit social.

 

2. La fraternité est inconditionnelle, universelle… et républicaine ! Pas comme l’amitié qui se mérite. C’est à la fois un a priori à la base de toute relation et une promesse en devenir, et pas à l’abri des tensions. La Bible ne se prive pas de raconter souvent des histoires de querelles violentes entre frères : Caïn et Abel, Isaac et Jacob, Joseph et ses frères. La fraternité se reçoit, s’entretient et se nourrit, pour moi, dans la célébration du Dieu Père universel de toute l’humanité, et la conscience que nous sommes nous-mêmes les « sujets » d’un Dieu « Clément et miséricordieux ». Elle n’interdit pas la distance et elle est gratuite : « parce que c’est toi, parce que c’est moi ».

 

4. Le caritatif est différent du travail social. Celui-ci s’exerce à l’intérieur d’une institution publique qui a pour mission de répondre efficacement à un « besoin » social ». Le caritatif se donne lui-même sa mission (sauf en cas de délégation de service public). Il peut chercher à répondre éventuellement aux mêmes besoins mais avec des moyens plus limités. Je ne suis pas tout-puissant, pas le sauveur de l’humanité. Au-delà de la satisfaction d’un besoin, il cherche à établir une relation de réciprocité à laquelle le travailleur social n’est pas nécessairement appelé. Il accepte de se trouver modifié par cette relation.

 

5. Les plus démunis que sont les demandeurs d’asile nous aident à démasquer nos fausses sources de vie. Ceux-ci désirent les mêmes choses que les personnes bien intégrées : autonomie, pouvoir, savoir, argent, efficacité, reconnaissance sociale etc. Mais leur joyeux goût de vivre montre que là n’est pas le plus essentiel de notre humanité. Par leurs existences bouleversées qui pourtant demeurent vivantes, ils mettent au jour que la vulnérabilité est constitutive de l’être humain et que les liens avec d’autres sont la véritable source de vie et de joie. La sollicitude rend nos relations vivifiantes quand, répondant à leur confiance, nous prenons soin d’eux dans leur fragilité. Cette qualité relationnelle peut réveiller la vie en chacun. Peu à peu, être autonome, efficace, important, devient moins central. Nous goutons d’être bons. Nous savourons de voir la vie s’éveiller en l’autre et en nous. Nous nous réjouissons que nos vies soient liées.

 

Voilà dévoilées les principales raisons pour lesquelles le CPU a été si longtemps ma source de joie partagée avec vous.

 

Contact par email:jenogin@gmail.com


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