Un article d'Yves, accompagnateur de mémoires et de thèses

APRES LE MASTER, LA THESE ?
par Yves Livian (30/05/2022)

Certains étudiants, ayant réussi leur master et envisageant de rester en France quelque temps, réfléchissent à s’inscrire en thèse. Plusieurs aspects sont à envisager. Faisons un tour rapide des questions à se poser, en en sélectionnant quatre :

Pour faire quoi après ? La thèse est un effort qui va mobiliser pendant plusieurs années. C’est un gros effort, déstabilisant, éprouvant sur le plan physique et nerveux. Il faut donc savoir ce que l’on veut en faire. Non pas qu’il faille avoir un « plan de carrière » clair, en ces temps d’incertitudes. Mais il doit y avoir un enjeu intellectuel et professionnel, direct ou indirect : rentrer dans l’enseignement supérieur, certes, mais aussi conforter ses compétences (pour les psychologues, juristes, pédagogues…), devenir chercheur dans un domaine précis, etc.. En France, les débouchés sont limités. Un article récent sur les thésards a pour titre « Après la thèse, rêves et désillusions » (Le Monde 19 mai 2022). Il faut du rêve pour se motiver, mais il faut aussi une réflexion prospective, qui sera d’ailleurs demandée parfois dans la sélection à l’entrée. Vouloir prolonger facilement son permis de séjour ne suffit pas.

Ai-je assez d'atouts ? Contrairement aux inscriptions en licence et master, où l’université est tenue de vous inscrire si vous remplissez les conditions, l’entrée en Ecole Doctorale est discrétionnaire, ce qui veut dire qu’elle est libre de vous prendre ou pas, en fonction de ses propres critères et appréciations (qui ne sont pas les mêmes partout) .D’abord, une Ecole doctorale n’a d’intérêt à prendre un étudiant que si elle estime qu’il (elle) a de fortes chances de terminer dans les temps, surtout en cas de difficultés linguistiques ou culturelles. La note obtenue dans le mémoire de master est un critère (au-dessus de 16/20 en général) Ensuite, elle doit s’assurer que le sujet proposé (avec le professeur consulté) rentre bien dans le programme de recherches des laboratoires de recherche concernés. La capacité d’encadrement de thèses en SHS en France est limitée : les universités l’affectent logiquement aux sujets sur lesquels elles se sont engagées dans leur programme de recherche (et, en sciences de la nature, pour lesquelles elles ont un financement).N’oublions pas que les universités sont évaluées :elles doivent rendre des comptes. Un projet imprécis, un sujet marginal ou flou seront rédhibitoires.

Suis-je réellement fait pour cela ? La recherche est un exercice particulier, qui suppose du goût pour la curiosité, l’interrogation permanente. Il faut accepter d’être déstabilisé et de remettre en cause un travail établi. De bons étudiants, même gros travailleurs, mais plus à l’aise dans la réalisation d’opérations claires et programmées, selon un schéma stable ne seront pas de bons thésards. Un penchant pour la controverse, un plaisir à la discussion même abstraite sont très utiles en SHS. Des personnalités rebelles ou rigides, n’aimant pas trop les échanges, auront aussi beaucoup de difficultés.

En ai-je le temps et les moyens ? En SHS, en France, les thèses sont rarement financées. Il faut donc penser aux moyens de vivre et aux arrangements matériels à mettre en œuvre pendant trois ou quatre ans. Il faut aussi en parler avec son entourage en cas de vie en couple ou en famille, puisque celle-ci s’agrandit provisoirement d’un nouveau personnage, qui s’appelle « la Thèse » avec lequel il va falloir vivre jour (et parfois nuit) Des projets de loisir ou de vacances sont à reporter pour l’essentiel. Le thésard motivé va se passionner pour son travail mais il devra faire quelques sacrifices et demander aux autres d’en faire aussi. Les remerciements rituels en première page de la thèse ne sont pas que politesse :ils correspondent souvent à une dette du lauréat à l’égard de ceux (celles) qui l’ont assisté ou supporté !

Difficile, difficile, dira- t-on. Oui, car il ne s’agit pas d’un projet universitaire parmi d’autres.il s’agit d’un projet de vie, qui va transformer la personne. Il est normal qu’on en pèse les enjeux.

Mais ceux (celles) qui ont mené cette réflexion et qui se sont lancés en général ne le regrettent pas !


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