par Yves Livian

Les grands auteurs en sciences humaines… à l'épreuve de l'international
Une nouvelle expérience au CPU


Le but de ce nouveau cours du CPU était d'initier nos étudiants (en master 2 ou doctorat) à quelques-uns des grands auteurs en sciences humaines, à travers la lecture et le commentaire de quelques courts textes.
Les étudiants européens peuvent avoir un vernis acquis au lycée sur Marx, Freud et autres (en étant optimiste), mais les non-européens ? les sciences humaines n’existent pas de manière autonome ou bien sont conçues différemment. Leurs directeurs de mémoires ou thèses en France supposent tout cela connu…

Par la vivacité des discussions, les séances n'ont pas déçu (en tous cas pas son animateur, l'auteur de ces lignes).

Marx ? On connaît un peu, pas de surprises. Lee le Coréen me pose même une question sur Althusser !
Freud c'est beaucoup plus difficile : l'inconscient ? La cure psychanalytique ?
Dylan le Haïtien en avait entendu parler mais tout ça lui paraît quand même bizarre. Les Asiatiques sont pantois. Dolores la Mexicaine n'y croit pas dans le contexte latino-américain. A ma remarque sur le fait que les psychanalystes sont très nombreux en Argentine, elle répond : "oui, mais ce sont des européens !"( c’est-à-dire pas des vrais sud-américains)

On passe ensuite à Weber :la bureaucratie,l’autorité rationnelle, ça va.
La nécessaire neutralité idéologique de l'enseignant-chercheur, prônée par l’auteur suscite débat : bien sûr que le chercheur doit s'engager, disent certains !
Lévi-Strauss évoque quelque chose aux Brésiliens…(il a fait son terrain là-bas), pas tellement aux autres…le texte sur "le cru et le cuit" suscite de l'intérêt : la cuisine comme vecteur universel de cultures !
Les thèses de Bourdieu sur l'inégalité sociale face à la culture et l’éducation recueillent une large approbation, certains textes ont été traduits en anglais,portugais et en espagnol.

Mais il a fallu bien sûr transposer certains exemples (le "Beau Danube Bleu" utilisé par Bourdieu comme l'un des airs favoris de certains groupes sociaux n'évoque rien pour nos étudiants aujourdhui !).
Foucault et la "French Theory" (les Derrida, Lyotard et compagnie) ont eu un écho international, la curiosité des étudiants est forte… On sent que cela fait partie de l'image que certains se font de la France. Certains étudiants s'étonnent quand je dis que tous les Français n'ont pas lu Gilles Deleuze ou Michel Foucault !la France est un pays tellement cultivé !! Par contre, le contexte de mai 68 en France a besoin d'être rappelé.
Les tendances actuelles (post-colonialisme, féminisme) passionnent. J'ai donné des références bibliographiques… mais j'en ai aussi reçu, notamment d’ouvrages sud-américains ! un vrai échange !

De cet exercice se dégage (pour celui qui l'a proposé) une impression de grande richesse. Nos "sciences humaines" majoritairement européennes ou du « Nord » doivent être confrontées à d'autres points de vue… et les étudiants étrangers n'ont pas tellement l'occasion de s'exprimer là-dessus à l'Université en France ( ce n’est pas prévu, on n’a pas le temps, on a peur de mal s’exprimer en français…).

Le groupe d’étudiants n'a pas tellement rencontré de problèmes de lecture et de compréhension des textes (il faut dire qu'ils étaient tous de bon niveau, et que je n'avais pas choisi les plus difficiles !).

On peut tirer aussi de cette expérience un autre enseignement : les auteurs européens attirent, sont en partie connus… mais "l'européocentrisme" est aussi critiqué. La nécessité de contextualiser ce qu'ils apprennent ici est fortement ressentie. On le sent, la "domination" intellectuelle des pays "du Nord" passe de plus en plus mal dans certains continents (Inde, Afrique, Amérique du Sud).

A quand une "histoire mondiale" des sciences humaines ? Il paraît qu'un penseur indien a été introduit cette année dans les programmes de philo du prochain bac.
Le début d'une nouvelle ère ?

Yves LIVIAN


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